Jérôme Normand, Directeur Général d’Environnement Jeunesse
« A Environnement Jeunesse, on utilise la plupart des moyens technologiques récents pour rejoindre les jeunes et les impliquer »
S. Keita
Quelles sont les missions de votre organisme qui est fondamentalement dans le changement social?
Environnement Jeunesse est un organisme qui existe depuis 1979 et qui est bien établi au Québec. Il couvre toute la province. Notre mission est de stimuler le développement d’une conscience environnementale et de l’esprit critique des jeunes face aux questions environnementales afin qu’ils soient des citoyens avertis et qu’ils posent des gestes conformes aux exigences du développement durable. Nous avons trois axes d’intervention. Il y a d’abord les projets qu’on met en place et dans lesquels les jeunes sont toujours parties prenantes. Par exemple, un de nos récents projets a consisté à établir une certification en développement durable pour les CEGEP et collèges, donc pour les administrations, afin qu’ils intègrent la gestion du développement durable dans leur gestion quotidienne. Nous avons lancé le projet « 2 roues, 4 saisons », dans lequel on inciteles jeunes à utiliser leur vélo toute l’année au Québec, même pendant l’hiver. Nous leur donnons des informations et des outils en ligne pour modifier leur monture et leur habillement pour que ce soit confortable et, ainsi, augmenter la période cycliste annuelle. Nous avons un autre projet qui s’appelle « Je m’emballe autrement » où on invite les jeunes finissants du secondaire à confectionner eux-mêmes leurs habits de bal de finissants avec des matériaux recyclés. Ce sont des projets très diversifiés qui engagent les jeunes sur les sujets environnementaux.
Le deuxième grand axe est la formation directe. Environnement Jeunesse réalise entre 200 et 300 ateliers d’éducation en environnement à travers le Québec, directement en classe en remplacement du professeur. Ces formations portent sur les grandes thématiques : changement climatiques, agriculture, eau, matières résiduelles, transports, etc.
Le dernier axe c’est l’éducation citoyenne : Comment participer à la vie démocratique? Comment former un comité dans son école? Comment interpeller les élus? Comment déposer un mémoire à l’Assemblée Nationale? Comment être un citoyen engagé et par quels moyens le faire? Voilà les grandes questions autour desquelles une stratégie d’éducation citoyenne des jeunes est mise en place.
Nous avons trois postes ouverts aux moins de 18 ans dans notre Conseil d’administration. Nous avons mis en place différentes mesures pour amener nos membres à contribuer à des mémoires qu’on va déposer dans le cadre de consultations du Bureau d’audiences publiques en environnement. Ce sont des actions directes mais démocratiques.
S. Keita
Comment les réseaux sociaux impactent votre activité qui s’adresse essentiellement aux jeunes?
Les réseaux sociaux sont des moyens de communication supplémentaires pour rejoindre notre public cible. A Environnement Jeunesse, nous sommes beaucoup plus dans l’implication concrète. On se rend compte que peu importe les moyens de communication utilisés ce qu’on souhaite au final ce sont des jeunes qui sont éveillés et qui s’impliquent, s’investissent, participent à des comités, font des rencontres, discutent avec les gens. Quels sont les moyens qu’on utilise pour rejoindre les gens et les amener à se rencontrer? Il s’avère que se servir d’un site internet et d’une liste de courriels ne suffit plus. A Environnement Jeunesse, on utilise la plupart des moyens technologiques récents : Youtube, Vimeo, Facebook, Twitter… On se rend compte que les jeunes au secondaire délaissent un peu Facebook pour éviter la surveillance de leurs parents. Ils sont plus sur Snapchat, Instagram, tumblr. Donc nous investissons ces moyens là mais pas activement. On fait ça comme support supplémentaire. Notre bulletin électronique par courriel est encore très lu, même si c’est un moyen très classique de rejoindre les gens. Ça fait partie d’un bouquet de moyens de communication pour rentrer en contact avec nos jeunes. Les jeunes qu’on cible sont ceux qui vont se déplacer pendant la fin de semaine pour participer directement à un colloque, venir à des rencontres, à des manifestations, s’impliquer dans un comité de soir après les cours. C’est plus productif que juste faire un ou deux clics pour avoir bonne conscience. Donc on utilise les moyens technologiques pour rejoindre les jeunes dans le but éventuellement d’avoir des rencontres en personne et les amener à s’impliquer plus longuement.
S. Keita
Quels sont les défis que doit relever Environnement Jeunesse, voire les autres OBNL de façon générale, dans le contexte de globalisation et de développement technologique qui caractérise le monde?
C’est le même défi qui revient pour nous et qui tourne toujours autour de la mobilisation. Il y a davantage d’astuces marketing et commerciales pour interpeller les jeunes. La durée de l’attention du client, du membre ou du citoyen est de plus en plus courte. Il faut donc parler en clip. Mais si l’on parle de sujets complexes comme les changements climatiques ou les habitudes de vie, on ne peut pas le faire dans un clip de dix secondes et capter l’intérêt des jeunes pour qu’ensuite ils s’investissent à changer le monde. C’est ça l’enjeu qui est difficile. Interpeller mais ne pas perdre l’intérêt. Puis avec toutes les offres à travers les écoles, les groupes communautaires, les entreprises, les événements, les divertissements, amener les jeunes à s’investir concrètement dans une cause intéressée, à y passer des heures, à y mettre de l’énergie.
La mobilisation reste le défi majeur. Nous l’avons constaté avec les dernières marches pour la terre que nous avons organisées autour du Jour de la Terre. 250 000 à 300 000 participants en 2012, puis on a eu environ 35 000 participants en 2013. Et cette année, même pas de marche. Le mouvement est quelque peu essoufflé et cruellement sous-financé, ce qui n’aide en rien.
S. Keita
On parle beaucoup de changement social, d’économie sociale, d’innovation sociale. Selon vous, quelle place doit occuper l’innovation sociale dans le Québec d’aujourd’hui?
Plus que jamais on a besoin de mouvements sociaux forts, de l’innovation sociale. Avec la mondialisation, les mesures d’austérité qui sont mises en place partout dans le monde, les milliards investis en publicité, l’économie classique qui guide nos vies, et à quel point on juge de notre aboutissement et de notre rang social par les biens de consommation, il faut des organismes communautaires forts et actifs sur le terrain pour faire contrepoids. Il faut se recentrer sur les priorités humaines et environnementales. Je pense que c’est l’économie sociale, l’innovation sociale et les mouvements communautaires, qui sont sous-financés et qui meurent à petit feu au Québec comme au Canada, qui peuvent contrer ça. Il faut donc investir dans cette économie sociale car il s’agit d’un secteur qui est florissant, où il y a du raccrochage. On a mal vendu l’importance des groupes communautaires dans les dix, vingt dernières années en ne disant pas « pour chaque dollar investi, voici le nombre de personnes touchées, le nombre d’emplois créés ». Je considère que dans le contexte actuel, il faut faire une méga place aux organismes communautaires.
S. Keita
Pensez-vous que les technologies numériques vont jouer un rôle majeur dans l’innovation sociale dans les années à venir?
Elles jouent déjà un rôle majeur. Le rôle qu’elles jouent c’est que chaque citoyen a maintenant une voix. Avant, il fallait être outillé, avoir un micro et une audience pour pouvoir exprimer son opinion. De nos jours, tout le monde a l’occasion de publier, de « poster », de filmer, d’exprimer sa vision. Il y a un côté intéressant, démocratique et un côté individualiste et narcissique à la fois à ce phénomène. Le défi c’est qu’il y a une fragmentation des idées, des prises de position. Souvent, lorsqu’un courant social monte en importance, il va y avoir tout de suite un contrecourant qui va n’être intéressé qu’à le démolir. Il y a de nouveaux défis qui émergent. Une chose est sure : ça passe beaucoup par les nouvelles technologies. Le fait d’entrer en contact avec les gens et d’écouter leurs opinions, le fait de partager une vision du monde, le fait de construire ensemble avec chacun sa vision. Ces grands mouvements sociaux là passent plus que jamais par différentes nouvelles technologies. Dans notre cas, ça passe beaucoup par les réseaux sociaux et la mise en commun d’idées à travers ces technologies-là.
Propos recueillis par Sékouna Keita